Le mystérieux cerf de Saint Maximin

Vous êtes sans doute trop jeunes pour vous en souvenir (même le Papé), mais il existait jadis aux portes de Saint Maximin un système lacustre qui a fonctionné durant les phases froides du Quaternaire. Il a disparu aujourd'hui, drainé vers le ruisseau de la Meyronne, mais il a laissé d'épais sédiments que Hélène (Université de Provence et CEREGE) et Olivier (INRAP) étudient avec un vif intérêt. Et pour mieux comprendre le contexte paléoclimatique du secteur, ils se sont mis en quête d'une cavité karstique située sur son bassin versant, pour en étudier les secrets.

C'est ainsi qu'à commencé notre intérêt pour l'aven du Cassaïre (ou du Cerf), situé sur l'extrémité orientale du Mont Aurélien, au dessus du domaine du Deffends, et donc sur la colline qui domine le fameux lac.

Ce curieux aven, tout de bric et de broc, constitué d'énormes blocs empilés à la façon d'un gigantesque jeu de "Badaboum !"®, doit son petit nom au squelette de cervidé (dont un crâne bien conservé) qui y a été découvert dans les années 80 dans une salle ébouleuse vers -40.

Déjà, la présence de ce squelette à un tel endroit est intrigante : pour atteindre le site, il faut se faufiler dans des étroitures sévères vraiment incompatibles avec le format d'un cerf. On doit donc admettre que la bête est descendue là entraînée par les blocs en mouvement lors de la mise en place de cette cavité bien plus tectonique que karstique.

Et puis il y a l'histoire rocambolesque du crâne... Découvert à l'origine par le propriétaire du domaine du Deffends (Mr de Lanversin) en compagnie de Éric Gilli (le karstologue niçois bien connu), il a été remonté un peu à la barbe des inventeurs par les spéléos varois. Après un séjour au laboratoire du préhistorien Eugène Bonifay à l'Université de Provence (Luminy), il a finalement été remis à son propriétaire et trône désormais au domaine du Deffends. De tout cet insolite parcours, depuis son engloutissement dans la cavité à une époque indéterminée jusqu'à sa mise en valeur sur un socle de marbre dans une des salles du domaine, bien peu de choses ont filtré. Il reste certainement le cerf le plus énigmatique et le plus furtif que l'espèce ait connu.

Lorsque Hélène et Olivier manifestent le désir d'aller fouiner dans ce drôle d'aven, et recherchent le support de spéléos pour les aider dans leur aventure, je suis mis dans la boucle par Pierre, un ami commun. Une première reconnaissance est effectuée (un peu en « perruque » il faut l'avouer) en février dernier dans le cadre de la spéléo du matin. Au cours de cette première visite, nous réalisons la configuration si particulière de la cavité (avec notamment des stalactites basculées lors de son histoire mouvementée). Et, bien sur, nous constatons l'absence du crâne de cerf (et pour cause...).

Pourtant, nous étions en droit de nous attendre à une bonne surprise : en effet, en cherchant sur le net, on finit par tomber sur le blog des spéléos du CAF de Brignoles décrivant une cavité dans laquelle se trouve un magnifique crâne de cerf calcifié. La description, illustrée de quelques photos, aurait bien bien pu correspondre à notre aven du Cassaïre. Oui... mais non. Il existe donc bien « quelque part » (mais où?) une autre cavité recelant un crâne de cerf. L'enquête est ouverte.

L'accompagnement de nos 2 chercheurs est programmé pour ce mois de novembre. Ils ont en effet obtenu des propriétaires du domaine l'autorisation en bonnet difforme pour aller fouiller officiellement dans la cavité. Tous deux sont des sportifs et des montagnards accomplis, mais nous prévoyons tout de même une petite séance de test dans le gouffre du Pin de Simon, réputé pour ses étroitures un peu râpeuses, afin de répéter un peu la technique spéléo.

Le dimanche 21 novembre, avec l'aide de Pierre, Frédérique et Jacquie, nous partons accomplir cette première formalité. Tout se passe au mieux : nos deux scientifiques ne sont impressionnés ni par les puits, ni par les chatières. Tout le monde est rassuré, l'aven du Cerf n'a qu'à bien se tenir.

Samedi 27 novembre, nous nous retrouvons au domaine du Deffends sous une pluie glaciale. Il y a nos 2 scientifiques, Pierre, et nous sommes rejoints par Eric Gilli venu tout spécialement de Nice pour l'occasion.

L'orifice exigu de l'aven exhale un courant d'air chaud impressionnant, mais il s'opposera farouchement au passage d’Éric qui restera en surface à battre la semelle pour nous attendre.

A l'intérieur, quelques évasements entre des blocs cyclopéens sont connectés par des passages bien rastègues. C'est bien loin d'être un joli trou, mais ça et là quelques concrétions égayent ce décor austère, où l'on ne sait plus trop faire la différence entre bloc éboulé et véritable paroi. Des stalactites facétieuses indiquent avec obstination une direction qui fut autrefois la verticale...

Pendant que Pierre et moi furetons entre les blocs à la recherche d'une hypothétique salle que nous aurions pu négliger lors de notre reconnaissance de février, Hélène et Olivier grattouillent le plancher de la salle vers -40 où fut jadis extrait le crâne de cerf. Ils y trouvent de nombreux ossements de diverses espèces indéterminées, mais aussi quelques os de plus grande taille qui pourraient bien avoir appartenu au fameux cerf.

Après quelques photos, notes et récoltes d'échantillons divers, l'équipe repart à l'assaut des étroitures. Dehors, la pluie a cessé mais l'ambiance est hivernale. Éric qui nous attend depuis un bon moment est frigorifié et profite du puissant courant d'air tiède qui sort de l'orifice pour se réchauffer un peu.

Il y aura peut-être des suites à l'aventure : Hélène et Olivier envisagent d'y retourner pour prélever un échantillon de stalagmite, afin d'obtenir des précisions supplémentaires sur les événements paléoclimatologiques qui ont déterminé l'évolution de leur lac. De mon côté, toujours intrigué par cette nouvelle tête de cerf qui nous attend quelque part, j'aimerais bien en savoir un peu plus pour aller l'observer les yeux dans les yeux un de ces jours.